La Belle aux Doigts Mordant

Il était une fois, dans un pays fort lointain et il y a très longtemps, une jeune fille qui était très belle, mais qui se mordait toujours les doigts. C'est pour cette raison qu'on l'appelait la Belle aux Doigts Mordant.
Et bien qu'elle fût fille de Roi, quoi qu'il arrive, quoi qu'elle fasse, invariablement, à chaque fois qu'elle mangeait, elle se mordait les doigts.

La Princesse avait tout pour plaire : elle était belle, intelligente et spirituelle (tout le monde savait qu'elle ne manquait pas de mordant). D'une grande douceur et aimable, elle n'avait jamais mordu quelqu'un et n'avait de dent contre personne. Elle s'intéressait à tout et était mordue de littérature, de poésie, de jeux de société, de théâtre...
Sa plus grande passion était la pêche... Allez savoir pourquoi ! Peut-être aimait-elle voir les poissons mordre à l'hameçon, qui sait  ? Pourtant c'est la mort dans l'âme qu'elle regardait ces pauvres petits poissons pris au piège. Elle n'aimait pas faire souffrir les bêtes, aussi, pour leur éviter une mort sûre, elle les relâchait bien vite.

Mais voilà. La Belle au Doigts Mordant se mordait toujours les doigts aux repas, ce qui était très douloureux pour elle, car elle se blessait tout le temps et avait toujours les doigts en sang...
A cause de ce petit défaut personne ne voulait se marier avec elle et son père, le Roi, se désolait de cela.
Il se désespérait de ne pas voir sa fille mariée à un gentil Prince bien comme il faut.
Aussi, il envoya quérir les meilleurs médecins aux quatre coins du monde, afin d'en trouver un qui puisse guérir sa fille...

Un premier se présenta devant le Roi et dit :
- Grand Roi ! Pour guérir ta fille, il n'y a qu'un moyen. Il faut lui couper les deux mains... Ainsi, plus jamais elle ne se mordra les doigts !
En entendant cela, le Roi prit le mors au dents et ordonna qu'il soit châtié pour avoir proféré de telles paroles...
- Qu'as-tu à dire pour ta défense ? lui demanda le Roi.
- Grand Roi, je suis si surpris de votre courroux que les bras m'en tombent !
Alors on lui coupa les deux bras.

Un deuxième se présenta devant le Roi et dit :
- Grand Roi ! Pour guérir ta fille, il n'y a qu'un moyen. Il faut lui couper la tête... Ainsi, plus jamais elle ne se mordra les doigts !
En entendant cela, le Roi prit de nouveau le mors au dents et ordonna qu'il soit châtié pour avoir proféré de telles paroles...
- Qu'as-tu à dire pour ta défense ? lui demanda le Roi.
- Grand Roi, je suis si surpris de votre courroux que j'en perds la tête !
Alors on lui coupa la tête.

Après de tels châtiments, plus aucun autre médecin n'osa s'aventurer à tenter de guérir la Belle aux Doigts Mordant.
Jusqu'au jour où se présenta, devant le Roi et sa fille, un pauvre jeune homme qui ne payait pas de mine.
- Comment t'appelles-tu, mon garçon, lui dit le Roi
- Mordicus ! Répondit le jeune homme sans hésitation.
- Et je crois pouvoir guérir votre fille, reprit-il humblement.

Et il sortit de son sac un objet de son invention. Un objet étonnant, que personne n'avait jamais vu avant et tout le monde se demandait à quoi cet objet pouvait bien servir...

Car c'était une fourchette !

Et en ce temps-là, la fourchette n'avait pas encore été inventée et personne ne savait ce que c'était !
D'où l'étonnement de tous !

Le pauvre jeune homme expliqua le fonctionnement…
La princesse essaya et là…
Ô miracle !
Elle ne se mordit pas les doigts !
Et elle ne se mordit plus jamais les doigts par la suite, grâce à l'invention du pauvre jeune homme !
La princesse était enfin guérie !
Folle de joie, elle embrassa le jeune homme fougueusement (et sans fourchette, je vous rassure) !

Le Roi, voyant cela, accorda la main de sa fille (main qui était maintenant douce et immaculée) au jeune homme.
La Princesse et le jeune homme se marièrent, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
Et c'est avec joie que l'on constata que ces enfants avaient tous un bon coup de fourchette !


Moralité
Pour ne pas s'en mordre les doigts, il vaut mieux ne pas avoir de dent contre la fourchette.

Ou plus simplement :
Fourchette pour manger, préserve le doigté.